Ah, avoir de grands pieds… Il faut être directement concerné(e) pour savoir à quel point cela peut être pénible et frustrant surtout s'il l'on est une shoes addict comme moi.
En ce qui me concerne, cela a commencé lorsque j'étais encore enfant. Je m'en souviens comme si c'était hier. Chaque année mes pieds s'allongeaient inexorablement, irrémédiablement et chose curieuse (qui aurait pu être drôle s'il n'y avait pas tant de déconvenues), le dernier chiffre de ma pointure correspondait toujours à mon âge. Ainsi, à 6 ans je chaussais du 36, à 7 du 37 et ainsi de suite.
Autant vous dire que, lorsqu'à 13 ans j'ai atteint le 43, il s'en est fallu de peu pour que je coure déposer des cierges à l'église Sainte-Rita (sainte patronne des causes perdues et désespérées). Après un court répit d'environ 2 ans, j'ai basculé vers le 44 (j'atteindrai même le 45 en raison d'une importante prise de poids). La fin des haricots ! A 15 ans j'étais probablement la seule fille du bahut à avoir d'aussi grands pieds pour ne pas dire "péniches".
De grands pieds et un casse-tête
Longtemps j'ai eu le sentiment d'être choisie par mes chaussures et non de choisir mes chaussures.
par auteur
Pour ma maman cette situation était un véritable casse-tête. Dès l'âge de 8 ans, il n'était plus possible de me chausser chez les enfants. Il est donc arrivé que je sois amenée à porter des talons de 2-3 cm non pas par coquetterie, mais par manque de choix. Rien de tel pour se faire remarquer dans la cour de récré, moi qui étais déjà plus grande que mes camarades de classe.
Adolescente, j'étais souvent en baskets ou en bateaux (parfait pour élargir les pieds !) et donc contrainte d'adopter un look un peu garçon manqué, moi qui ai toujours été plutôt "girly". Mais comment associer des baskets ou des mocassins pour homme à des robes ou des jupes ? J'aurais pu lancer une mode mais je n'ai jamais vraiment aimé me singulariser. Je sortais déjà du lot bien malgré moi.
Pas simple de ne pas pouvoir se chausser ou s'habiller selon ses envies et ses humeurs. Longtemps j'ai eu le sentiment d'être choisie par mes chaussures et non de choisir mes chaussures. Que de frustrations !
C'était d'autant plus compliqué qu'à l'époque je vivais en province et plus précisément dans les Hauts-de-France où le choix était plus que restreint. La seule boutique qui proposait des chaussures grandes pointures était hors de prix et, disons-le, proposait des modèles sacrément vieillots et moches. Je revois encore cette énorme basket blanche pointure 52 qui trônait au milieu de la vitrine tel un épouvantail.
Paris pour une paire de chaussures
Pour échapper à ces horribles godillots, maman m'offrait parfois un billet de train et me remettait un peu d'argent pour que je descende à Paris m'acheter UNE paire de chaussures de FILLE ! Je lui en suis encore reconnaissante aujourd'hui. Je devais alors viser juste et prendre LA paire de chaussures susceptible d'aller avec tout ou presque et éviter de la porter trop souvent afin qu'elle ne s’abîme pas trop vite.
C'est la raison pour laquelle j'ai pris l'habitude (difficile à perdre) de porter des chaussures noires. Exit donc les chaussures de couleur mais aussi les modèles trop sophistiqués, les talons trop hauts… Malgré toutes mes précautions, il est arrivé que je revienne avec de véritables horreurs parce que c'était tout ce que j'avais pu trouver à ma pointure et dans mon budget (grands pieds et peu de fric, la double peine en quelque sorte).
Ainsi, je n'oublierai jamais ces espèces de sandales plates en cuir tressé qui se fermaient avec une grosse boucle sur le côté et où se mêlaient du bleu marine, du kaki et du marron à moins que ce ne soit du bordeaux. Je vous laisse imaginer à quoi pouvaient ressembler ces merveilles. J'étais alors en classe de 3ème et comme les enfants sont parfois cruels entre eux, ces chaussures avaient provoqué les pires railleries. Et c'est vrai qu'elles étaient laides ces chaussures. Je ne pouvais même pas en vouloir à mes camarades d'être aussi méchants et heureusement pour moi, j'avais déjà le cuir plutôt épais.
L'heure de la revanche
J'allais désormais crouler sous les pompes quitte à ce que certaines ne soient pas portées plus d'une fois voire jamais !
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Et puis j'ai grandi. J'ai gagné en autonomie y compris financière. Je suis venue plus souvent à Paris et ai même fini par m'y installer (pour d'autres raisons que les chaussures, rassurez-vous). Je suis devenue une fidèle cliente des boutiques des rues Meslay et Saint-Denis où j'ai longtemps été aussi connue que le loup blanc. Oubliés baskets et bateaux ! Toutes les paires de chaussures qui me plaisaient et m'allaient, je les achetais sans hésitation. Peu importe le prix. Ballerines, escarpins plus ou moins hauts (culminer à 1,90m, même pas peur !), bottes, sandales et mules ont fait mon bonheur. J'étais régulièrement à l'affût des nouveautés et je passais commande s'il le fallait. Il m'est même arrivé d'acheter le même modèle en différents coloris. Je ne prenais même pas la peine d'essayer de choisir entre telle ou telle couleur. Pouvoir acheter de belles chaussures était si grisant.
L'heure de la revanche avait sonné ! Après avoir eu un dressing si pauvre en chaussures, j'allais désormais crouler sous les pompes quitte à ce que certaines ne soient pas portées plus d'une fois voire jamais !
Et puis internet et les ventes en ligne ont fait leur apparition, nous offrant à nous aussi les filles aux grands pieds plus de choix et accès à des modèles plus fun. Car longtemps grand pied avait rimé avec mémé, quelle infamie ! Notre patience avait enfin été récompensée ! Ce n'était pas encore le top mais au regard de ce que nous avions vécu, c'était Byzance !
Hommes et femmes sont de plus en plus grands et il est temps que les marques prennent cette donnée en compte. Certaines, comme Bata ou New Look, proposent désormais du 42 et même du 43 et en wide fit s'il vous plait (chez New Look). Ce n'est pas trop tôt ! Je rêve du jour où San Marina, Aldo et les autres proposeront du 42, 43, 44 et soyons fous du 45, même s'il ne doit y avoir que 5 modèles disponibles.
En attendant cette petite "révolution", je me console en me disant qu'avoir d'aussi grands panards aura permis qu'on ne me retrouve pas un jour ensevelie sous une pile de cartons de chaussures achetées de manière compulsive, et que mon compte bancaire affiche un découvert abyssal. J'aime voir le verre à moitié plein.
Alors vous qui avez la chance de chausser un 42 max, ne boudez pas votre plaisir lorsqu'une belle paire de pompes vous fait de l'oeil car pour certaines d'entre nous, elle restera un inaccessible rêve.